Banksy

Banksy

Icône bankable

Héros pour les uns, imposteur pour les autres, Bansky dénonce les dérives spéculatives et l’obscénité d’un marché dont il incarne l’un des plus singuliers représentants ; entre résultats affolants et coups d’éclat spectaculaires.

TEXTE: GWENAELLE GRIBAUMONT

Né à Bristol en 1974, star incontestée du street art, Banksy conserve depuis près d’une vingtaine d’années le secret sur son identité. Cet anonymat favorise les fantasmes, lesquels entretiennent autant sa légende que sa cote sur le marché de l’art… Assurément engagé, il ne cesse de commenter, avec une intention politique, les faits de société (crises migratoires, conflits armés, luttes sociales, consumérisme…). Dans ses œuvres, dans ses actes : héros masqué, il affrète un navire pour porter secours aux migrants en Méditerranée, il vend une œuvre pour financer un hôpital pour les enfants de Bethléem en Cisjordanie (Vue de la mer Méditerranée, 2017, 2,4 millions d’euros), une autre au profit des soignants britanniques (Game Changer, 16,7 millions d’euros). Initiatives puissantes qui renforcent autant la réputation de l’artiste que sa valeur marchande. En 2020, Artprice le classait 14e artiste vivant le plus cher du monde. D’une santé insolente, son marché ne s’est jamais aussi bien porté que durant la pandémie, avec quelque 900 ventes enregistrées sur la dernière année.

Game Changer, 2020, huile sur toile, signée « Banksy » en bas à droite, 91 x 91 cm. Christies, Londres, 23-03-2021. Christie’s Images Ltd. £ 16.758.000 (€ 19.441.286).

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BANKSY: Genious of Vandal
Grand Place 5, Bruxelles www.banksyexpo.com jusq. 31-08

Banksy. The Brussels Show
Deodato Art Rue Saint-Jean 28, Bruxelles www.deodato.be jusq. 03-07

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Banksy Graffitied Walls and Wasn’t Sorry Phaidon, Londres, 2021, ISBN 978-1-83866-260-8

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Happy Choppers, 2003, sérigraphie en couleur sure papier vélin, signée au crayon, 116/750, 69,5 x 50 cm. Christies, Londres, 10-06-2008. Christie’s Images Ltd. £ 5.250 ( € 6.618).
Se faire ‘‘bankser’’ ?

Développant un certain goût pour la provocation, Banksy torpille les codes du marché de l’art et pointe son absurdité en imaginant des coups d’éclat aussi spectaculaires que médiatiques. En octobre 2013, il court-circuitait le marché en installant incognito, à proximité de Central Park, un modeste stand de ventes sur lequel il étalait de petites toiles originales proposées à 60 dollars. L’intérêt des promeneurs est alors très relatif : l’artiste réalise un bénéfice de 420 dollars, tandis que les experts estiment alors ces œuvres à 160.000. Coup de pub ou tentative de rébellion, cette initiative lui permet de revendiquer son indépendance de vendre là où il veut, y compris par des voies inhabituelles, et de fixer librement ses prix.

Magistral, il récidive à New York en octobre 2018. Son œuvre Girl with Balloon (2006) y est mise à l’encan chez Sotheby’s ; un coup de marteau à 1,1 million de dollars. Le public n’a pas le temps de reprendre son souffle qu’une sirène retentit : sous les regards d’une salle médusée, l’œuvre glisse en direction du sol, se faisant instantanément déchiquetée par un mécanisme dissimulé dans son cadre. Dans un éclat de rire planétaire, l’artiste renoue avec le canular artistique. Mais d’emblée, on s’interroge sur son intention qui n’est pas sans contradiction. Souhaitait-il dénoncer la flambée des prix ou lutter contre la spéculation relative à son travail ? Seule certitude : cet happening subversif confère à l’œuvre une dimension iconique qui double instantanément sa valeur. Chapeau l’artiste ! Chacune de ses sorties de route ne fait qu’accroître sa popularité. Dans le même temps, nombreux sont les observateurs perplexes qui pointent sa position ambiguë. Pourquoi n’a-t-il pas trouvé le moyen de détruire, sans possibilité d’exploitation commerciale, l’œuvre ici endommagée ? À moins que Banksy ne soit lui-même le vendeur et/ou l’acheteur de cette gigantesque farce ?

Prix stratosphériques

Résultat étourdissant, l’œuvre intitulée Devolved Parliament était adjugée 11,1 millions d’euros chez Sotheby’s, en octobre 2019. Estimation pulvérisée pour cette toile monumentale représentant des chimpanzés installés sur les banquettes vertes de la Chambre des communes, en lieu et place des députés britanniques. Cette adjudication permettait à l’artiste de se classer en 16e position des cent meilleures de l’année. Fraîchement installée à Bruxelles, la galerie d’art contemporain Deodato, spécialisée en street art, communique les prix de ses œuvres en stock sur simple demande. Le triptyque intitulé Flower Thrower (2019) est annoncé à 684.100 euros, prix sans surprise pour une œuvre originale de cette qualité. Plus étonnant, les sérigraphies tirées à de nombreux exemplaires s’échangent également à prix d’or ! Lors de sa vente en ligne du 28 mai 2020, Phillips adjugeait ainsi 39.000 dollars le lot Happy Choppers (2003), numéroté 621/750, acquis quatre ans plus tôt pour 4.500. Soit une croissance annuelle de +70 %. Qui dit mieux ? Sur Artprice, on observe que la majorité des peintures en aérosol affichent des résultats de vente au marteau entre 300.000 et 400.000 euros, avec quelques adjudications qui explosent les estimations. On remarque notamment ce Vote To Love (2018) adjugé à 1.126.377 euros (Sotheby’s, février 2020) ou, plus récemment, ce Girl with Ice Cream on Palette (Bonhams, mars 2021) à 1,04 million d’euros et ce Gas Mask Boy (Philips, avril 2021) à 2,07 millions d’euros. Cependant, quand on compare soigneusement les derniers résultats enregistrés, une série de pièces attire l’oeil. Le même jour, une œuvre de la même technique que les premières (peinture en aérosol), intitulée Bomb girl, trouvait preneur pour la somme de 11.500 euros au marteau. Même constat pour Happy Choppers. Comment expliquer cette dévaluation ? En réalité, ces œuvres – comme beaucoup d’autres – ne disposent pas du certificat d’authenticité délivré par Pest Control. En effet, il s’agissait de pancartes non destinées à la vente, réalisées dans un but de contestation militante. Des exemples d’aérosol et pochoir sur carton, utilisés par les manifestants contre la guerre en Irak, le 15 février 2003.

Love is in the Air (Flower Thrower), 2003, sérigraphies en couleurs sur papier vélin, numérotée au crayon 412/500, editée par Pictures on Walls, Londres, 46,8 x 67,1 cm. Christies, Londres, 01-04-2021. Christie’s Images Ltd. £ 137.500 ( € 161.500)
Lutte antiparasite

Intéressons-nous donc à ce Pest Control qui peut être traduit par ‘‘lutte antiparasite’’. Et pour cause, Banksy mène, à l’ombre de ses combats politiques et sociaux, une autre bataille : lutter contre les tentatives de contrefaçons ou de spéculation sur ses réalisations ‘‘satellites’’ (autocollants, affiches, devises dégradées, …). Victime de son succès, il a été contraint de créer sa propre structure d’authentification, également la seule et unique plateforme de vente directe des nouvelles œuvres qui sortent de son atelier. Sa logique est implacable : toujours dans la perspective d’écouler selon son rythme et par ses propres moyens sa production, Banksy n’est représenté par aucune galerie, pas plus qu’il ne valide les grandes expositions qui lui sont dédiées. À l’heure de rédiger ces lignes, le site signalait sommairement qu’aucune nouvelle œuvre n’était disponible. Pest Control n’en demeure pas moins actif. Dans un style direct, il met en garde : « Si vous êtes sur le point de dépenser beaucoup d’argent, soyez prudent. Certaines personnes se donnent beaucoup de mal pour vendre des contrefaçons coûteuses agrémentées d’histoires convaincantes. En réponse à ces histoires plutôt tragiques, nous avons lancé le service Keeping It Real (…) ». Service dont la participation financière est remboursée en cas de contrefaçon. Car, toutes les œuvres originales et authentiques doivent être accompagnées d’un certificat d’authenticité PCO COA (pour Pest Control Office Certificate of Authentification). Celui-ci se complète de la moitié d’un billet d’une livre sterling, numéroté. L’autre moitié étant conservée dans les archives de Pest Control.

Roi du marketing

Si Jean-Michel Basquiat et Keith Haring ont largement ouvert la voie, le marché du street art s’est structuré et consolidé entre 2009 et 2019. Dix années de croissance rapide et régulière, portée tant par Banksy que par le Français Invader, l’Anglais Stik et les Américains Obey et Kaws. Dans ce pentagone de tête, Bansky est très certainement celui qui jongle le plus habilement avec les codes du marketing. En 2019, taquinant les frontières entre art et commerce de masse, il lançait sa propre boutique en ligne shop.grossdomesticproduct.com™, qui vend un tas d’objets dérivés, aussi variés qu’une bombe aérosol ou un gilet pare-balles orné du drapeau britannique. L’artiste tourne également en dérision la mode, mettant en vente un tee-shirt à l’effigie de sa Girl with balloon dont la partie inférieure part en lambeaux. Chaque description d’article est réalisée dans un style corrosif à souhait. Le site propose une vingtaine d’articles, mais pas le moindre exemplaire n’est disponible actuellement. Une stratégie de raréfaction qui accroit encore la fascination du public… En attendant son prochain coup d’éclat !

Game Changer, 2020, huile sur toile, signée « Banksy » en bas à droite, 91 x 91 cm. Christies, Londres, 23-03-2021. Christie’s Images Ltd. £ 16.758.000 (€ 19.441.286).

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Deodato Art Rue Saint-Jean 28, Bruxelles www.deodato.be jusq. 03-07

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