Jan Schoonhoven

La conquête du marché de l’art par Jan Schoonhoven

Fabritius, Vermeer, Schoonhoven, ces trois artistes ont un point commun : Delft. Leurs œuvres se vendent bien, mais celles du troisième suscitent un intérêt inédit. Qu’est-ce qui rend cet artiste si singulier et quelle est la taille de son marché ? Jan Schoonhoven (1914-1994) s’est révélé sur le tard. La crise des années 1930, la Seconde Guerre mondiale et ses conséquences occasionnèrent un appauvrissement du paysage culturel néerlandais. Le jeune Schoonhoven connut donc des débuts difficiles. Cherchant son propre langage artistique, il tenta divers styles. Des caricatures, en passant par l’expressionnisme, à un adepte provisoire de Picasso et à l’œuvre associative de Klee pour finalement cofonder le groupe De Informelen (art informel, également appelé Retardisme) et le groupe NUL en réaction à l’expressionnisme. S’inspirant du groupe allemand ZERO comptant comme membres Heinz Mack, Otto Piene et Günther Uecker, du Nouveau Réalisme français avec Yves Klein et de ses homologues italiens comme Lucio Fontana et Piero Manzoni, ces artistes souhaitaient extraire l’expression, la couleur et l’individualité de l’œuvre d’art et aspiraient à un renouveau. À la manière d’un compte à rebours de lancement de fusée (durant les années 1960, les voyages dans l’espace frappaient beaucoup l’imagination), ils baptisèrent leur mouvement 3, 2, 1 : Zéro.

TEXTE: ELS BRACKE

Révélation tardive

Het Apostelhuis, exposée au musée Prinsenhof de Delft, constitue dans une certaine mesure un facteur-clé de la découverte du carton comme matériau dans l’œuvre de Jan Schoonhoven. Antoon Melissen, qui a décrit cette œuvre dans sa monographie consacrée à l’artiste en 2015, précise : « Selon son propre fils Jaap, au début des années 19, faute de moyens, Schoonhoven s’est mis à expérimenter du matériau bon marché afin de réaliser des jouets pour son fils. Il a ainsi créé un château-fort, un relief montagneux et un garage. Het Apostelhuis va plus loin, car conçue et créée avec amour ; ce n’est pas un jouet, mais une étape intermédiaire vers une œuvre d’art autonome en carton. » La récente restauration et l’examen de l’objet sont particulièrement révélateurs de la méthode de travail de l’artiste durant cette période transitoire, de 1953-1954 aux premiers reliefs abstraits en série de 1956. De fait, c’est à partir du milieu des années 1950 que les œuvres de Schoonhoven connaissent un succès grandissant. Avant 1955, sa production essentiellement composée de dessins, ainsi que de caricatures, peintures et lithographies est plutôt limitée. Divers musées hollandais comme le Kunstmuseum de La Haye et le Stedelijk Museum possèdent des œuvres des années 1938 et 1940, mais qui n’ont rien à voir avec l’évolution future de son travail. Environ trente œuvres antérieures à 1950 furent vendues aux enchères ces dix dernières années. Notamment des dessins à l’encre et des gouaches, dont les prix variaient de 1.100 à 4.200 euros. La modique somme de 100 euros fut déboursée en 2008 pour une seule caricature, aquarelle sur papier proposée par Vendu Notarishuis, à Rotterdam. La part représentée par l’artiste dans le négoce de l’art fut toujours limitée.

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Jan Schoonhoven, R 84-4, 1984. © Museum Prinsenhof Delft, c/o Pictoright Amsterdam 2021. © Foto: Tom Haartsen.
Connexions internationales

Jusqu’à l’âge de la retraite, Jan Schoonhoven travailla comme employé des postes. Il bénéficiait ainsi d’un cadre quotidien, indispensable à ses yeux, et de revenus assurés. C’est le soir qu’il s’attelait à son travail artistique, debout devant sa table de cuisine. Cette table, comme la taille des portes intérieures, expliquent le format initial de ses œuvres, dont les dénominations rappellent l’aspect routinier de son travail d’archiviste : T pour tekeningen (dessins) et R pour relief. Il y ajoutait, chaque fois, l’année et un numéro d’ordre. Son dernier relief date de 1992, tout comme ses ultimes dessins. Ces attributions représentent également un fil conducteur dans l’ordre chronologique du catalogue de ses œuvres. Modeste et très attaché à la ville de Delft, Jan Schoonhoven, s’inspira pour ses reliefs des scènes de rue de sa ville de résidence. Ce n’était toutefois pas un artiste marginal ou isolé comme Giorgio Morandi, toujours demeuré actif comme enseignant, réalisant des œuvres en série et vivant dans l’isolement de sa maison et de son village. Aux côtés de sa femme, active dans le monde de la musique, Jan Schoonhoven recevait en permanence des intellectuels. Il entretenait, en outre, des relations avec de nombreux artistes internationaux comme Kusama et Manzoni. En tant que Nestor du mouvement NUL, ce fut également un modèle qui inspira nombre de ses compatriotes.

Galeries influentes

À partir de 1957-1958, après avoir trouvé son propre langage et été convaincu de son style et du mouvement NUL, il travailla sur son œuvre en perpétuel renouvellement. Celle-ci se compose de dessins, d’aquarelles, de gravures et de sculptures, ou plus exactement de reliefs. La visite d’une exposition, en 1958, lui permit de découvrir l’œuvre immaculée de Piero Manzoni. Dès lors, il recouvrira de blanc certains de ses reliefs anciens afin d’exprimer ce désir d’immobilité que Manzoni était parvenu à rendre par la monochromie. Trois galeries jouèrent un rôle décisif dans son développement et sa place sur le marché de l’art : Delta à Rotterdam, Orez Mobile à La Haye et l’éminente Galerie M de Bochum. Antoon Melissen explique : « Leo Verboon et Albert Vogel, de la Galerie Orez, jouèrent un rôle majeur dans l’établissement de la réputation de Jan Schoonhoven. Pas pour sa méthode de travail, car l’artiste demeurait très autonome, mais pour le devenir de ses œuvres. Plus lobbyiste et conservateur que galeriste et acheteur, Leo Verboon s’est employé à nouer les bons contacts et à stimuler l’intérêt des acheteurs. Quant à lui, Alexander von Berswordt-Wallrabe de la Galerie M veilla surtout à ce que la réputation de l’artiste dépasse le cadre des Pays-Bas et se déploie sur la scène internationale, en particulier allemande à partir des années 1970. Von Berswordt a également encouragé l’artiste à créer des œuvres de plus grande taille. » Il est erroné d’affirmer que ce dernier avait besoin de son travail quotidien pour vivre et qu’il ne pouvait le faire de son art. Sa valeur sur le marché a commencé à augmenter à partir de 1962 et indubitablement à partir du moment où il remporta un second prix à la Biennale de Sao Paolo, en 1967, et fut reconnu dans le monde entier. La demande augmenta alors de manière exponentielle et comme la création de ses reliefs était laborieuse, il engagea des assistants. Jan Schoonhoven est demeuré très fidèle à ‘‘ses’’ galeries : « Son œuvre n’a jamais été bon marché. Pour un relief, il fallut vite débourser plusieurs milliers de florins », rappelle Paul van Rosmalen. ˮ

Jan Schoonhoven, T 86-114, 1986. © Museum Prinsenhof Delft, c/o Pictoright Amsterdam 2021. © Foto: Tom Haartsen.
Esprit du temps propice

Ujn regain d’intérêt pour le mouvement ZERO fut perceptible en 2001, lors de la vente de la collection Henk Peeters, membre du groupe NUL, organisée par Sotheby’s à Amsterdam. Cette collection comportait des œuvres du Nouveau Réalisme français, du mouvement d’avant-garde japonais Gutai et de nombreuses œuvres du mouvement ZERO, souvent vendues ou échangées directement par l’artiste et collectionneur Henk Peeters. Des noms comme Armando, Castellani, Dadamaino, Lucio Fontana, Gianni Colombo, Victor Gentils, Yayoi Kusama, Jean Tinguely et Jan Schoonhoven trouvaient alors preneur. Cette vente ouvrit les yeux des collectionneurs avertis et fut un signal pour le marché. Au fil des ans, si l’intérêt grandit pour Yves Klein et les adeptes italiens et allemands du mouvement ZERO comme Uëcker, Fontana et Manzoni, l’œuvre singulière de Schoonhoven demeura relativement confidentielle. L’année 2010 marque une étape importante avec un record mondial, établi le 10 février, et la somme de 751.608 euros obtenue par Sotheby’s à Londres pour Weißes Strukturrelief R 62-1 (Relief de structure blanc) de 1962. Un peu plus tard, Paul van Rosmalen (Galerie Borzo) décidait d’organiser une exposition solo de l’artiste, à l’occasion de l’édition 2013 de la foire Art Basel. A posteriori, le galeriste déclarait : « Il serait prétentieux de dire que nous avons écrit l’histoire de Schoonhoven, l’esprit du temps et l’intérêt général pour l’art minimaliste ayant alors pris une ampleur inédite, mais cette exposition fut une vraie révélation qui connut un retentissement mondial. Les médias du monde entier en ont parlé et il y eut même une page entière dans le New York Times. » Une exposition Jan Schoonhoven eut ainsi lieu peu après chez David Zwirner, à New York : « Presque tout fut vendu à des prix très élevés. Il serait aujourd’hui pratiquement impossible de réunir une telle collection en vue d’en organiser la vente. On trouve aux enchères dix reliefs par an, peut-être vingt si c’est une bonne année, et la moitié figure dans des collections muséales. »

L’art du dessin

En 2015, le Guggenheim Museum de New York, le Stedelijk Museum d’Amsterdam et le musée Martin Gropius Bau de Berlin organisaient une exposition d’art ZERO, associée à toutes sortes d’études et publications contribuant à mettre en lumière de façon plus large l’art NUL et le travail de Jan Schoonhoven. Evidemment, il y eut des retombées sur le marché et dans l’univers des galeries. Il faut, depuis, débourser davantage pour des œuvres de Schoonhoven, même s’il est difficile d’évaluer le montant total. À partir de 1971, l’artiste travailla avec un assistant permanent qui documenta ses œuvres. Il demeure toutefois encore quelques lacunes quant à la localisation de celles-ci. Le nombre de reliefs est estimé environ 700 à 800 euros, leur prix (de 2008 à nos jours) varie entre 60.000 et 400.000 euros, tandis que pour la même période celui des dessins se situe entre 700 et 20.000 euros, avec une enchère à 50.000 euros. Ces derniers sont donc accessibles à un plus grand nombre de collectionneurs. Mais, en quoi sont-ils significatifs ? Paul van Rosmalen : « Jan Schoonhoven a réalisé une grande quantité de dessins, il en faisait tous les jours. Ce n’étaient pas des esquisses préparatoires, le dessin était un support indépendant pour lui. Il s’agit d’œuvres isolées, réalisées essentiellement à l’encre de Chine, dans les années 1960 au crayon et, par la suite, avec un mince pinceau japonais. Ils sont minutieusement numérotés, toujours en noir et blanc. Leur beauté réside, à mes yeux, dans la discipline propre à Schoonhoven : le caractère linéaire, sériel, la répétition du même mouvement, celle d’une abstraction mentale du quotidien renvoyant au modèle de rues, à la maçonnerie, aux jalousies des portes et fenêtres. Les prix sont définis par la période : un dessin des années 1960 rapporte deux fois plus qu’une œuvre des années 1970, tandis qu’un dessin des années 1980 ne rapportera peut-être qu’un quart du montant d’un exemplaire des années 1960. Cette disparité tient avant tout à la rareté. Les mouvements ZERO et NUL n’existèrent que de 1960 à 1966-67. » Jan Schoonhoven a également réalisé 60 à 70 lithographies et sérigraphies, publiées entre autres par la Galerie M, et il existe un catalogue de ces œuvres graphiques.

Jan Schoonhoven, ZT, 1940. Museum Prinsenhof Delft, c/o Pictoright Amsterdam 2021. © Foto: Tom Haartsen.
Artiste dans l’âme

Investir dans une œuvre de Jan Schoonhoven peut être le bon choix. Non seulement sa valeur ne cesse d’augmenter, mais son œuvre sera bientôt décrite dans un catalogue raisonné, attendu pour 2023, ce qui empêchera les faux et copies et attirera peut-être le marché asiatique. Qu’est-ce que l’artiste a de plus que ses cofondateurs Henderikse, Peeters, Armando ? Paul van Rosmalen: « Jan Schoonhoven se trouve à la tête du mouvement NUL. Il est demeuré le plus ‘‘pur’’ et le plus proche des points de départ de ZERO : le caractère sériel, la répétition du même mouvement, le renoncement à la couleur, l’utilisation de matériaux très simples et accessibles. C’est ce qui a le plus attiré l’attention au niveau international aussi. Donald Judd, Sol Lewitt et Elsworth Kelly s’intéressaient de près aux œuvres de Schoonhoven et les collectionnaient eux-mêmes. L’intérêt international des collectionneurs fonctionne depuis 2015 comme la loi des vases communicants sur le marché néerlandais. » Car, si Schoonhoven était originaire de la ville de Delft, l’histoire de l’art et l’intérêt des collectionneurs sont universels.

 

VISITER

 

Presentatie rond het gerestaureerde Apostelhuis van Jan Schoonhoven (1914-1994) Museum Prinsenhof Delft, www.prinsenhof-delft.nl 18-06 t/m 11-10

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