Napoléon, une valeur montante

Napoleonmania

Un passe-temps qui a son prix

Le 5 mai,ily aura200ans que Napoléon prononçaitses dernières paroles. Pour commémorer la vie de cet empereur emblématique, des musées du monde entier présentent des chefs-d’œuvre de collections publiques et privées.Quels sont ces objets qui enflamment l’imagination, qui les collectionneet pourquoi, deux siècles plus tard, Napoléon fait-il toujours l’objet d’un marché florissant?

TEXTE: ELENA LOMBARDO

118.000 euros pour une paire de bottes, 500.000 pour le trône impérial de Napoléon ou 625.000 pour une feuille de laurier en or qui orna sa couronne: la Napoleonmania existe bel et bien. De nombreux amateurs tentent aujourd’hui, quel que soit leur budget, d’approcher au plus près de l’Empereur. Les sommes demandées et déboursées pour des objets ayant appartenu à Napoléon (1769-1821)frappent l’imagination. Cette année commémorative débutait par une perpétuation prometteuse du phénomène. Ainsi, en janvier dernier, lors de l’événement BRAFA in the galleries, l’enseigne parisienne Arts et Autographes proposait un manuscrit de 74 pages relatif à la bataille d’Austerlitz au prix ahurissant d’un million d’euros. Ce document, Napoléon l’avait dicté (et annoté), à la finde sa vie sur l’île de Sainte-Hélène, à son général Henri-Gatien Bertrand. Quelques semaines plus tôt, Sotheby’s Londres adjugeait, le 14 janvier, la clé de la chambre de Napoléon à Sainte-Hélène pour 92.000 euros. « Les objets relatifs à Napoléon enregistrent des résultats remarquables sur le marché », souligne Jean-Pierre Osenat. « Nous pouvons incontestablement le qualifier de plus grand personnage de l’Histoire. Il exerce une immense fascination sur les amateurs du monde entier. Le domaine de collection est également incroyablement varié. On peut collectionner des signatures, livres, gravures, lettres, boucles de cheveux, vêtements, bijoux, articles militaires ou mobilier des demeures où il vécut. Et les objets des personnes de l’entourage de l’Empereur font également fureur. » La maison française Osenat est, depuis des années, la référence absolue en matière de souvenirs de Napoléon et objets de l’Empire. Elle organise, quatre à cinq fois par an, une vente thématique à l’ombre du château de Fontainebleau : « Nous avons lancé ces ventes thématiques il y a environ vingt ans. On ne trouve plus de tableaux Empire lors des ventes de tableaux anciens, ni de manuscrits napoléoniens dans les ventes généralistes d’autographes. Nous avons tout regroupé en une formule éclectique sur le thème de l’Empire qui nous a permis d’ouvrir un marché où aucune demande claire ne se dessinait plus et de remettre la collection au goût du jour. »

Records mondiaux

En 2014, Osenat enregistrait un record mondial avec l’adjudication d’un chapeau emblématique de Napoléon pour 1,8 million d’euros (frais inclus). « Selon les estimations, Napoléon aurait porté 120 chapeaux au cours de sa vie, dont 19 seulement ont survécu qui figurent presque tous dans des collections publiques. Il était tout à fait exceptionnel qu’un exemplaire apparaisse sur le marché. Le chapeau que nous avons adjugé en 2014 provenait de la collection du Prince de Monaco et se trouvait dans un excellent état », déclare le commissaire-priseur. Estimé 300.000 à 400.000 euros, le bicorne de Napoléon était acquis par un collectionneur sud-coréen. Une vertigineuse montée d’enchères pour un exemplaire unique. À titre de comparaison, le chapeau que Napoléon portait à Waterloo (1815), en moins bon état, trouvait preneur en 2018 pour 350.000 euros chez De Baecque & Associés, à Lyon. Osenat a dispersé de très nombreuses autres pièces de la collection de la maison princière de Monaco, dont une chemise de l’empereur (prix au marteau : 70.000 euros), un berceau offert par Napoléon à sa belle-fille Stéphanie de Beauharnais (200.000 euros), une paire de gants de l’empereur (60.000 euros) et un plat de Sèvres, de sa collection personnelle, emporté à titre privé à Sainte-Hélène (410.000 euros). Mais, ce bicorne de Napoléon ne fut pas le seul record mondial enregistré par Osenat. En 2007, la maison battait tous les records lorsque l’épée que l’empereur portait lors de la bataille de Marengo (1800) était adjugée 4,8 millions d’euros. Il semble qu’après avoir jeté leur dévolu sur de prestigieux objets, certains collectionneurs cherchent à en tirer un maximum de profit.

Chapeau de Napoléon, feutre et peau de castor, orné d’une cocarde blanche, bleue et rouge, L. 49 cm. Provenant à l’origine de la collection du vétérinaire de Napoléon, Joseph Griaud. Plus tard dans la collection de la maison princière de Monaco. Selon la légende, Napoléon portait son ‘‘bicorne’’ de travers sur sa tête (et non droit comme à l’accoutumée), de façon à être reconnaissable sur le champ de bataille et à inspirer ses troupes par sa présence. Osenat Binoche-Giquello, Fontainebleau, 16-11-2014. © Osenat Binoche-Giquello. 1.800.000 € (frais inclus)
Un club intime de collectionneurs

L’expert français et animateur d’émission télévisée Pierre-Jean Chalençon possède l’une des plus grandes collections du genre au monde. C’est cet homme de cinquante ans qui acquit le trône de Napoléon en 2019 chez Osenat, au prix de 500.000 euros : « Je suis passionné d’histoire depuis mon enfance. Collectionner a toujours fait partie de l’ADN du Français, ce hobby était donc tout naturel pour moi. J’ai acquis ma première pièce de Napoléon à l’âge de 15 ans. J’ai vendu le scooter que mon père m’avait offert pour pouvoir acquérir la lettre que j’avais vue dans la vitrine d’un marchand. Il s’agit de la missive par laquelle Napoléon annonce sa victoire après la bataille d’Iéna (1806) et qui se trouve toujours dans ma collection. Un mouchoir, un drapeau et d’autres petits objets sont venus la rejoindre. » La Collection Chalençon compte aujourd’hui environ 1 200 objets qu’il conserve dans sa résidence au cœur de Paris, l’historique Palais Vivienne, près de Drouot. Sa collection étendue a fait le tour du monde car le collectionneur considère que sa mission consiste à montrer les objets au plus grand nombre possible de personnes. Pierre-Jean Chalençon continue d’enrichir sa collection par le biais d’acquisitions mais aussi de ventes : « Les collectionneurs de Napoléon se connaissant tous, ils vendent et achètent entre eux. J’ai récemment acquis un service de l’Empereur, mais comme il coûtait très cher, j’ai décidé de n’acquérir que des pièces de moindre importance. Un collectionneur a intérêt à posséder quelques chefs-d’œuvre au lieu de dix mille pièces insignifiantes. » La collection de Pierre-Jean Chalençon se compose de divers chefs-d’œuvre, dont le sceptre du sacre (1804), un foulard en madras que l’Empereur portait à Sainte-Hélène, le testament personnel de Napoléon, ses couverts de Waterloo, son portrait en Premier consul par le baron Antoine-Jean Gros, … Mais sa pièce favorite est, sans doute aucun, le contrat de mariage entre le souverain et Joséphine de Beauharnais (1763-1814) : « J’aimerais ajouter à ma collection plusieurs pistolets de l’Empereur. Les armes personnelles de Napoléon figurent presque exclusivement dans des collections publiques. Lorsqu’elles arrivent sur le marché, elles sont horriblement chères. Il en va de même pour de nombreux objets. Prenez, par exemple, le manuscrit de la bataille d’Austerlitz ! Les objets de Napoléon sont devenus hors de prix, ce qui n’était pas le cas il y a encore quinze ans. Or, les finances d’un collectionneur ne sont pas élastiques. » Plus près de nous, le Néerlandais Patrick Buch collectionne depuis les années 1980 : « Ma passion pour Napoléon a débuté grâce à une amitié avec le professeur Frédéric Bastet (1926-2008), collectionneur de Napoléon. Ma première acquisition fut une statuette insignifiante de l’Empereur, que j’avais achetée pour 80 florins dans une maison de vente de La Haye. A l’époque, cela représentait une grosse somme pour moi. Il est toujours difficile d’entamer une collection. Non seulement par manque de connaissances solides, mais aussi faute de moyens financiers et de contacts. » La collection du Néerlandais contient, entre autres, une boucle de cheveux de l’Empereur, coupée en 1819 à Sainte-Hélène, un morceau du suaire dans lequel il fut embaumé à Longwood et une boîte de reliques avec des restes de sa tombe à Sainte-Hélène : « L’origine de ce morceau de textile est très singulière. Il provient de la succession de l’écrivain américain Ralph Waldo Emerson, qui fut ami avec Achille Murat, un neveu de Napoléon. Cette relique fut composée par un soldat français qui participa à l’exhumation de Napoléon à Sainte-Hélène, en 1840. Le charme de sa collection ne réside pas seulement dans le fait de posséder, mais aussi dans une procédure d’acquisition et de recherche sur l’objet. Il n’est pas facile d’acquérir des chefs-d’œuvre car ceux-ci arrivent rarement sur le marché. Il est donc important d’entretenir des contacts personnels avec d’autres collectionneurs et marchands. »

Trône impérial à dossier massif en forme de médaillon, bois doré. Osenat, Fontainebleau, 07-04-2019 © Osenat 500.000 € (frais inclus)
L’image du self-made man

Le prix des objets relatifs à Napoléon augmente pour diverses raisons. L’historien et connaisseur David Chanteranne, conservateur au Musée Napoléon de Brienne-le-Château, sis dans les bâtiments de l’ancienne Ecole royale militaire de Brienne où l’Empereur étudia durant sa jeunesse, remarque trois vagues d’intérêt dans le domaine de la collection : « La popularité de la collection d’objets de Napoléon en France et en Belgique a débuté en 1921, année du centième anniversaire de la mort de l’Empereur. De nombreux objets firent alors leur apparition lors d’enchères et suscitèrent un intérêt global de la part des collectionneurs. En 1969, alors que l’on commémorait le bicentenaire de sa naissance, on assista au même phénomène. Pour de grandes familles, ce fut l’occasion rêvée de se séparer de divers documents historiques et objets transmis de père en fils. La troisième vague eut lieu en 2004, lorsque l’on commémora le bicentenaire du couronnement de l’Empereur. » C’est à peu près à ce moment que Jean-Pierre Osenat lança ses ventes dites ‘‘Empire’’. Le commissaire-priseur précise : « L’augmentation des prix, à cette époque, était due au fait que des propriétaires se sont aperçus que les objets obtenaient de bons résultats sur le marché et ont donc souhaité se séparer de leurs propres pièces. Ce qui n’a pas entraîné une saturation du marché, bien au contraire. Des collectionneurs se mirent à proposer les pièces les plus exceptionnelles. C’est toujours le cas aujourd’hui, sauf que les prix ont décuplé ! Un nouveau public est également apparu. A l’heure actuelle, Napoléon est très prisé des collectionneurs russes. » Cette popularité du souverain français auprès de ce nouveau public s’explique de plusieurs manières, estime David Chanteranne : « Nous avons constaté, ces vingt dernières années, que de nombreux Russes, Américains et Asiatiques se sont mis à acheter. Ils se sentent inspirés par l’image de self-made-man de Napoléon, lequel n’est pas monté sur le trône comme un monarque de sang royal, mais s’est emparé du pouvoir en tant qu’homme du peuple et stratège militaire. Il y a du fétichisme là-dedans, la collection d’objets napoléoniens est une véritable passion. C’est un personnage singulier, un homme ordinaire qui a tout gagné et tout reperdu ensuite. Ce qui lui donne un côté humain. Mais, il s’agit aussi d’objets très prisés sur le marché et qui ne perdront jamais leur valeur. Une lettre de Napoléon rapportera toujours davantage que n’importe quelle lettre de l’époque. C’est un véritable investissement. » Ces deux connaisseurs ne pensent pas que le marché des objets napoléoniens cessera un jour. Jean-Pierre Osenat : « Il y a une telle quantité d’objets. Cet homme a écrit 40 000 lettres au cours de sa vie. Les collectionneurs vendront et achèteront toujours. » Il ne faut pas oublier non plus qu’il existe encore de nombreuses grandes collections familiales, souvent de descendants de personnes de l’entourage de l’Empereur. Artcurial a récemment adjugé la Collection Verly pour un montant total de 820.000 euros. Ces descendants du colonel baron Jacques Albert Verly (1815-1883), évoluant dans l’entourage de Napoléon III (neveu de Napoléon Ier), collectionnèrent au XXe siècle des armes et uniformes des Premier et Second Empire.

Traîneau ayant appartenu à l’impératrice Joséphine, bois, peinture verte, dorure, 300 x 156 cm. Osenat, Fontainebleau, 05-05. © Osenat Est. 40.000-60.000 €
Des collections publiques en extension

Si le marché compte des collectionneurs privés, il existe également des institutions culturelles. Émilie Robbe, conservatrice du département d’histoire moderne (1643-1870) du musée de l’Armée à Paris, explique : « Comme de nombreux autres musées, le musée de l’Armée ne cesse d’enrichir sa collection. Nous visitons les salons internationaux, les galeries et marchands d’antiquités, mais participons aussi à des ventes aux enchères comme celle de décembre dernier chez Osenat où nous avons acquis, entre autres, un tombeau miniature de l’Empereur en bronze doré et patine noire (11.375 euros, frais inclus). Cette pièce avait été fabriquée un peu à titre de souvenir par Quesnel, qui travailla sur le tombeau de Napoléon. La sépulture de l’empereur se trouvant au sein du musée, cette pièce avait sa place dans nos collections. » Le musée de l’Armée reçoit l’aide de l’État, mais aussi de particuliers et d’entreprises qui le soutiennent. Ainsi, une collecte de fonds pour la rénovation du prestigieux tombeau de l’Empereur rapportait, au début de cette année, environ 840.000 euros, grâce à 2 310 donateurs. Les amateurs de Napoléon et du patrimoine ne sont jamais avares de générosité : « Dons et prêts font invariablement partie de notre mode de fonctionnement et de notre collection. Les collectionneurs et musées ont la possibilité de s’entraider et de s’enrichir en dialoguant. L’univers de la collection est vaste et les musées et collectionneurs privés se rencontrent souvent, ce qui ne veut pas dire que nous devons nous concurrencer. Il existe une quantité phénoménale d’objets à collectionner au sujet de Napoléon, mais aussi différentes raisons de les acquérir. Pour un collectionneur privé, il s’agit souvent d’une passion, d’une admiration pour le personnage et d’une aspiration à être le plus proche possible de lui. Un musée porte un regard moins sentimental sur ce personnage historique. Il a pour mission de raconter l’Histoire, sans embellissements ni tabous. Le musée de l’Armée a vu le jour grâce à des collectionneurs d’objets napoléoniens. Il fait donc partie de notre histoire. Cependant, nous devons toujours nous montrer objectifs et raconter avec recul la contribution de Napoléon à l’Histoire. C’est ce qui se reflète dans notre collection. J’estime que la place de pièces plus intimes, relatives de Napoléon, n’est pas dans un musée mais chez les collectionneurs. Car ceux-ci ont, par exemple, un lien particulier avec elles. » Le musée de l’Armée poursuit ses acquisitions avec cette stratégie en tête et souvent de façon thématique : « Lorsqu’une nouvelle loi fut votée en France, dans les décennies 1960-1970, autorisant l’acquittement d’une partie des droits de successions par le don d’œuvres d’art à l’État, de nombreuses grandes collections napoléoniennes, dont celle de la famille Murat (descendants du beau-frère de l’empereur, ndlr) tombèrent dans son escarcelle, atterrissant directement dans les musées nationaux. Une subdivision eut lieu à l’époque : le musée de l’Armée présente essentiellement des objets militaires, Fontainebleau l’histoire du Premier Empire, Malmaison la vie intime de Napoléon et Joséphine, … Nous respectons le pré carré des autres musées dans notre politique d’acquisition. Nous ne nous faisons certainement pas concurrence car nous avons tous la même mission : montrer et préserver le patrimoine. » Contrairement au musée de l’Armée, le musée Napoléon de Brienne-le-Château n’a pas le statut d’institution nationale. Il a toutefois reçu, lors de sa fondation en 1969, des objets qui faisaient partie de la succession des grandes familles françaises du temps de l’Empire. « Il s’agit souvent de pièces transmises de père en fils. Ce qui est tout à fait exceptionnel aujourd’hui. Nous faisons désormais essentiellement appel à des dons et successions, explique David Chanteranne. Nous avons récemment reçu une collection de gravures traitant de la vie privée de l’Empereur, ainsi que par succession une collection de miniatures. Les amis du musée nous aident souvent à finaliser des acquisitions. »

Collectionneur débutant

Le collectionneur débutant ne doit pas se décourager face à la forte augmentation des prix ces dernières années. « Avec Napoléon, tout le monde trouve son compte ! », affirme la conservatrice Émilie Robbe. Le collectionneur chevronné de Napoléon qu’est Pierre-Jean Chalençon prodigue quelques conseils : « Tout le monde peut entamer une collection d’objets ayant trait à Napoléon, il n’est pas nécessaire d’avoir beaucoup d’argent. Un collectionneur débutant peut démarrer avec des gravures et eaux fortes, puis passer à des documents signés, des lettres ou un ouvrage de la bibliothèque personnelle de l’Empereur. C’est ainsi que naît la passion ! Et, tout en achetant et vendant, il apprend beaucoup et étoffe sa collection. Mais, il faut toujours collectionner dans un but précis et ne pas se lancer dans des dépenses inconsidérées. Car, si collectionner est agréable, il est plus important de profiter de la vie ! »

 

ENCHERIR

Vente L’Empire à Fontainebleau, Osenat, Fontainebleau www.osenat.com le 05-05  

VISITER

Exposition Napoléon, au-delà du mythe, Gare de Liège-Guillemins www.europaexpo.com jusq. 09-01-2022

Exposition De Waterloo à Sainte-Hélène. La naissance d’une légende, Mémorial Waterloo www.waterloo1815.be du 05-05 au 17-10

Exposition Napoléon n’est plus, Musée de l’Armée, Paris www.musee-armee.fr jusq. 19-09

Musée Napoléon, Bienne-Le-Château 
www.musee-napoleon-brienne.fr 

Palais Vivienne, Paris
Visites privées sur demande 
www.palaisvivienne.co 

 

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